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Le matin est doux, l’air léger, des hirondelles parcourent le ciel. Collines arides. Je pourrais me croire à Alicante, à Carthagène. Je suis à Tiflis. Sans y être. Souhaitant déjà vivre ailleurs, songeant à notre retour par Constantinople et Athènes. Il m’arrive de penser aussi, avec une subite angoisse, à B… et à la rue P…-de-K… Tout, là-bas, s’est dénoué. Irréparable. Il me faudra, cependant, recommencer à vivre à Paris, dans cet atelier, avec V…, mais est-ce que je crois à cette vie ? Il m’arrive de penser à M…, je voudrais revivre nos nuits de Moscou, vagabondes et fraîches. Je voudrais… Mais je ne veux rien avec force. Je suis ici, je sais que cette journée passera, que viendra le temps du retour, que tout est à peu près indifférent. Je sais que je garderai des souvenirs de ce voyage, qui se transformeront en moi (comment ?) et dont je me nourrirai un jour.

Ce que j’ai pu écrire dix fois du voyage, du voyageur que je fais, je pourrais l’écrire encore. Je n’écris que pour tenter de me retrouver un moment, me reprendre..

Que vais-je faire de cette journée ? Attentes, paroles inutiles. J’aimerais être avec M…, par exemple, et vagabonder lentement dans la vieille ville. J’aimerais aussi être à Ciudadela, loin de tout, et nager, écrire ce long roman auquel je m’attaquais il y a un an tout juste, et qui sommeille en moi, m’étouffe, et dont je dois me délivrer.


25 juillet 1936, dans une petite ville d’eaux (Borjom ?), entre Tiflis et Batoum.

Un ancien palais, bourgeois et horrible, celui d’un grand-duc, dans un beau parc. Une maison plus simple, à l’écart, où je couche, avec J… L…, c’est là que j’écris, après avoir nagé dans un bassin empli d’une eau claire et délicieuse (j’aurais voulu prendre ensuite un bain de soleil, hélas ! le ciel est gris, il pleut pour l’instant). Me voici donc seul, calme, reposé comme je ne le fus