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et à V…, à mon passé, et je me penche sur le personnage confus, anxieux et trouble que je fais, avide et craintif, ardent et timide. Je me connais bien. Je ne trouve pas-toujours un écho à ma voix.

Je reste seul, seul. Ah ! je voudrais écrire ce livre — un grand livre — en aurai-je la force ? y parviendrai-je ? Ce désir me ronge. Oh ! je sais que cela ne se fait pas avec des promesses et des mots. Là aussi, je serai seul. Et l’écrirai-je, ce livre ? N’y aura-t-il pas quelque catastrophe ?… Allons, que je ne me tourne pas vers l’avenir. Assez de vivre dans le présent, assez de la besogne du jour.

J’ai écrit ces lignes. Suis-je soulagé ? Bien peu. Est-ce que je vois plus clair en moi-même ? Ça continue, et je pourrais continuer aussi d’écrire, si je croyais, si…. si…


9 juillet 1936, Moscou.

La vie que nous menons est si trépidante, mouvementée, surprenante, incohérente quelquefois, que je ne trouve guère le moment d’ouvrir ce carnet. Et puis, je ne m’en sens pas le goût ; ou encore, cette vie commune ne m’en laisse pas le loisir, on discute, on traîne, on s’attend.

Et ainsi, les jours ont passé ; sur mon séjour à Leningrad je n’ai pas écrit une ligne. Je ferme les yeux, et je me souviens. Me souviendrai-je longtemps ? De quoi ? Faut-il me rappeler certains paysages, certains visages, des rencontres ? Ce voyage, sur certains points, n’est pas fort différent de celui que je fis en Tchécoslovaquie. Diners, visites officielles ou non, musées, etc. Moins fatigant ici, parce qu’il s’agit d’un monde neuf.

Comme ailleurs, je ne comprends rien de la langue. Je ne puis que regarder, regarder. Surprendre. Observer. Toutes ces richesses s’amassent en moi, se transformeront, se mêleront à ma vie inconsciente et secrète.

Surprises, émotions, s’il me faut les noter ici les