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ION.

enfants, je perds tout, mes espérances sont évanouies ; en vain j’ai voulu les réserver pour l’avenir, en gardant le silence sur une union fatale, sur un enfantement funeste. Non ; j’en jure par le trône étoilé de Jupiter, par la déesse qui veille sur ma patrie, par le rivage sacré du marais de Triton[1], je ne cacherai plus ma faute, je soulagerai mon cœur d’un poids qui l’oppresse. Mes yeux fondent en larmes, mon âme attristée succombe sous les coups des hommes et des dieux ; je dévoilerai leur trahison et leur ingratitude pour celles qu’ils ont aimées.

Ô toi qui sur ta lyre aux sept cordes chantes les hymnes harmonieux des Muses, fils de Latone, c’est à toi que s’adressent mes douloureux reproches. Tu vins auprès de moi, brillant de l’éclat de ta chevelure dorée, tandis que j’étais occupée à recueillir dans mon sein des fleurs éclatantes, parure qui rivalisait avec l’or de mes vêtements ; tu me saisis dans tes bras, malgré les cris par lesquels j’invoquais ma mère ; tu m’entraînas dans l’antre où tu me fis violence, emporté par ta passion amoureuse.

Infortunée ! je mis au monde un fils, que, par crainte de ma mère, je déposai dans la grotte qui nous servit de couche nuptiale. Hélas ! mon fils et le tien est devenu la proie des bêtes sauvages. Et toi cependant, tu chantes des péans qu’accompagne le son de ta lyre.

Fils de Latone, qui du centre de la terre, assis sur ton trépied d’or, fais entendre aux mortels ta voix prophétique, mes cris parviendront jusqu’à ton oreille. Amant perfide, tu donnes un fils à mon époux, qui n’a pas mérité de toi

  1. Hanc et Pallas Amat, patrio quod vertice nata

    Terrarum prima Libyen… tetigit, statique quitta

    Vultus vidait Aqua, posuitque in margine plantas,

    Et se délecta Tritonida dixit ab unda.

    Et se délecta TritonLucain, Phars. iv, 350.