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un morceau de sa chair ; et si tu manges sa langue, tu deviendras éloquent et babillard comme lui.

Le cyclope

[316] La richesse, chétif mortel, est le dieu des sages : tout le reste n’est que vanité et belles paroles. Que m’importent à moi les promontoires consacrés à mon père ? et pourquoi m’en fais-tu un si pompeux étalage ? Étranger, la foudre de Jupiter ne me fait point trembler ; je ne sais point que Jupiter soit un dieu plus puissant que moi : au surplus, je ne m’en soucie guère. Et pourquoi je ne m’en soucie pas, le voici : Si ce dieu verse la pluie du haut du ciel, j’ai sous ce rocher un abri solide et couvert ; j’y mange un veau rôti ou quelque bête sauvage, et j’arrose mon ventre étendu, en vidant une amphore pleine de lait ; et je frappe dessus, rivalisant, par ce bruit, avec le tonnerre de Jupiter[1]. Et lorsque le Thrace Borée verse la neige à gros flocons, je couvre mon corps de peaux de bêtes, je fais grand feu, et je me ris de la neige. La terre, de gré ou de force, fait naître de l’herbe pour engraisser mes troupeaux. Je me garde bien de les immoler à quelque autre dieu qu’à moi-même et à mon ventre, qui est le plus grand des dieux. Boire et manger chaque jour, et ne s’inquiéter de rien, voilà le Jupiter des sages. Que ceux qui ont établi des lois, et embarrassé la vie humaine de mille soins inutiles, soient maudits. Je ne cesserai point, pour leur plaire, de me réjouir le cœur, et je ne t’en croquerai pas moins. Voici donc les dons d’hospitalité que je t’offre, afin d’être irréprochable devant toi. Un bon feu, et cette marmite de la

  1. L’idée irrévérencieuse du Cyclope s’explique fort bien par. ces deux vers de Catulle, XXXXII, 10 : Nam pransus jaceo, et satur supinus Pertundo tunicamque palliumque.