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ferai retentir les airs de mes gémissements et de mes sanglots ; car c’est pour les femmes une consolation dans leurs maux, de les avoir toujours à la bouche. Et j’ai plus d’un sujet de gémir : la ruine de ma patrie, la mort d’Hector, et la cruelle destinée qui m’enchaîne, et m’a fait tomber dans une indigne servitude. Il ne faut jamais appeler aucun mortel heureux, avant d’avoir vu comment, à son dernier jour, il descendra aux enfers[1].

[2] Ce n’était pas une épouse, mais une furie, que Paris conduisit à Ilion, lorsqu’il emmena Hélène pour partager sa couche. C’est à cause d’elle, ô Troie, que le terrible Mars vint de la Grèce, avec mille vaisseaux, porter le fer et la flamme dans tes murs ; c’est à cause d’elle qu’il fit périr Hector, que le fils de Thétis traîna attaché à son char, autour des murailles[3] ; et que du lit de mon époux je fus conduite sur le rivage, couverte du voile odieux des captives. Bien des larmes coulèrent de mes yeux, quand il fallut quitter et la ville, et ma couche nuptiale, et mon époux étendu sur la poussière ! Infortunée ! que me servait de voir encore le jour, pour devenir l’esclave d’Hermione ? Victime de sa cruauté, j’entoure de mes mains suppliantes la statue de la déesse,

  1. Voir, dans Sophocle, le début des Trachiniennes. Ovide, Métam., III, 155 :

    Expectanda dies hScilicet ultima semper
    Expectanda dies homini ; dicique beatus
    Ante obitum nemo, supremaque funera debet.

  2. Ce morceau est écrit en vers élégiaques.
  3. Virgile a suivi la donnée d’Euripide, Æneid., I, 487 :


    Ter circum Iliacos raptaverat Hectora muros.


    Mais Homère ne dit pas qu’Achille ait traîné trois fois le corps d’Hector autour des murs ; il dit seulement qu’il le traîna des murs de Troie au camp des Grecs. L’erreur est venue sans doute de ce qu’Homère dit ailleurs qu’Hector, en fuyant Achille, fit trois fois le tour des murs.