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mon esprit avec une précision, une profondeur et une élévation auprès desquelles le vague sentimentalisme qui m’y avait attaché jusque-là me parut terne et froid. La Patrie ! Existe-t-elle vraiment là où les populations, clairsemées, sont séparées par des espaces que le pied d’un homme n’a jamais foulés, par des forêts que sa présence n’a jamais animées, par des landes que sa main n’a jamais fécondées ? Existe-t-elle là où il n’y a jamais eu de générations, là où l’oubli des ancêtres est si complet que le désert a remplacé leurs jardins ? Existe-t-elle là où il n’y a rien, là où d’immenses territoires vides d’hommes et cependant possédés par quelques-uns, mettent entre les uns et les autres la distance, l’égoïsme et la haine ? Existe-t-elle chez un peuple qui réduit le nombre de ses enfants et pour qui, en fait, la postérité, c’est l’ennemi ?

La Patrie ! Faites que les solitudes disparaissent, «étendez le champ du bien ; resserrez celui du mal, de la stérilité, de la mort[1] ». Bannissez l’oisiveté des mœurs. Faites que, d’un bout à l’autre du territoire, les hommes soient tellement pressés, qu’aucune parole prononcée n’aille se perdre dans le vide. Faites que de chaque motte de terre, pétrie de leurs mains, sorte un épi. Rendez toutes les générations solidaires, même les plus éloignées. Peuplez vos souvenirs de celles du passé, de celles de l’avenir remplissez vos cœurs. Alors la Patrie existera.

  1. Michelet, la Bible de l'humaniste.