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fatigues du travail, affranchie par la science de toute peine et de tout souci matériels, libre enfin de ne s’adonner qu’à des occupations plus conformes à ses goûts, à son intelligence et à ses destinées.

Mais ils me regardaient et souriaient comme des gens qui ne croient pas ou ne comprennent pas. « Chez nous, me répondaient-ils, le travail est juste, doux et facile. Nos rêves ne vont pas au delà. » Un jour, l’un d’eux ajouta cette réflexion qui me frappa et me fit réfléchir à mon tour : « Combien nos idées sont différentes, monsieur ! Vous voulez supprimer le travail. Nous, nous croyons qu’il serait très malheureux qu’on pût le supprimer, et nous considérerions comme une impiété qu’on pût en avoir la pensée. »

Bien souvent depuis, cette phrase me revint à l’esprit, mais elle n’y revint pas seule. Je me rappelai cet autre mot qui m’avait tant surpris à mon arrivée : « Défiez-vous des religions. » Il résultait pour moi de ce rapprochement une indication si évidente d’une transposition ou d’une transformation de l’idée et du sentiment religieux, que je ne pouvais m’empêcher d’y songer. Ainsi, me disais-je, voilà un peuple, un grand peuple qui brûle ce que tous les autres adorent et qui adore ce que tous les autres brûlent. Et ce peuple vit depuis cinquante ou soixante siècles ! — A partir de ce moment, je commençai à comprendre vraiment la Chine et sa civilisation, et je dois avouer que ce n’est qu’alors que mes observations prirent une valeur un peu sérieuse. Il