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Je passe aus contes.

Tous connaissent cette belle scène du plus puissant drame de Shakespeare, où le vieus roi de Bretagne, Lear, déjà atteint de sa folie, veut partager entre ses trois filles son royaume, comme un gâteau, en donnant la meilleure part à celle qui lui fera la meilleure caresse.

Le canevas de cette scène, il ne faut pas croire que Shakespeare l’ait inventé. Il ne s’est pas donné cette peine. Ici, comme dans plus d’un de ses drames, Shakespeare s’est borné à remettre sur pied, à transformer en chef-d’œuvre, une mauvaise pièce d’un de ses prédécesseurs. Et cette pièce avait pris cette scène avec le reste du drame à un chroniqueur qui l’avait pris à un autre, etc. Ce petit canevas a traîné, en effet, dans toute la littérature du moyen âge ; c’est un conte populaire et un de mes amis, M. Simon, l’a retrouvé l’autre jour, sous sa forme wallonne, à Châtelineau. Voici, en traduction littérale, comment racontent le roi Lear des gens qui ne connaissent pas Shakespeare, même de nom :

Il y avait une fois un roi qui avait trois filles. Il leur demande un jour comment elles l’aimaient. La première répont : « comme le pain ! » — La deuzième : « comme le vin ! » — La troizième : « comme le sel ! »

Pensant que celle-ci ne l’aimait pas, il l’a mise à la porte de son palais. Un autre roi en a été mécontent et a repris la fille de l’autre chez lui.

Un beau jour, ce roi a fait un grand banquet et a invité le père. Tout était fort riche, mais on n’avait mis de sel dans rien pour l’attraper. Quand on lui demandait si les plats étaient bons, il répondait toujours : « Oui, mais c’est dommage qu’il n’y a pas de sel ! » À la fin, il a bien vu ce que cela voulait dire et il a été bien heureus de reprendre sa fille dans son château.

Tout le canevas de Lear est dans ce petit conte. Nous y retrouvons le vieus roi capricieus, Regane, Goneril,