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s’échappait de la vaste cheminée quand soufflait le vent d’ouest. Au bout de la table massive était étendue une « touaille » grossière sur laquelle fumaient des châtaignes blanchies à la mode du Périgord, et, de chaque côté, étaient attablés le vieux Caïus et la Françon.

— Te voilà, mon drôle, en veux-tu ?

Et Damase, sans façon, s’asseyant à côté du vieillard, s’était mis à manger de ces belles châtaignes couleur d’or pâle, en buvant, comme c’est la coutume, de larges rasades de piquette.

Depuis lors, le jeune garçon fréquentait familièrement la maison du bonhomme, qui, en toute occasion, l’entretenait de l’épopée révolutionnaire, lui inculquait ces fortes maximes d’indépendance, d’égalité, de désintéressement, de frugalité, de dévouement à la Patrie qui avaient été en honneur au temps de sa jeunesse ; maximes qui contrastaient étrangement avec les mœurs avachies, les sentiments et les aspirations de la bonne société de Fontagnac, royaliste ou juste-milieu, mais toujours dévote, sensuelle et mesquinement éprise d’intérêts matériels. La flamme qui s’allumait dans les yeux du vieux jacobin, en racontant les grandes journées de la Révolution, émouvait Damase, et ces récits le transportaient en ces temps héroïques où des va-nu-pieds, exaltés par la Marseillaise, faisaient reculer les despotes étrangers et les émigrés. Le soir, au temps des veillées, le vieux Caïus s’oubliait longuement à raconter ses souvenirs, et le jeune garçon s’en allait la tête pleine de rêves de ces époques épiques et des visions des hommes de la Révolution, reniés par la bourgeoisie vaniteuse et oublieuse d’aujourd’hui.

Ce rude vieillard était la bête noire des nobles, des prêtres, des bourgeois et de toute cette population