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filles ; c’était quelque chose de concret, d’impérieux comme la passion du maître pour l’esclave préférée. Aussi, sa fureur contre la femme du notaire qui lui avait pris ce jeune homme tout à sa dévotion s’augmentait-elle de l’impuissance où elle était de se venger. Trop fière pour recourir à ces basses perfidies familières aux âmes vulgaires, elle se réduisait à souhaiter qu’un événement quelconque vint rompre cette liaison et faire cesser cette mainmise d’une femme, sa rivale, sur un être sien. Ses souhaits se réalisèrent bientôt d’une manière inattendue.

Le vieux Latheulade, surnommé Caïus Gracchus, à l’époque où il présidait le Comité révolutionnaire de Fontagnac, et qu’on appelait encore Caïus, s’était pris d’affection pour Damase dès son entrée dans la maison du notaire. La complaisance du jeune garçon pour sa vieille servante boiteuse avait été la première occasion de ses sentiments bienveillants. Un jour comme la Françon revenait péniblement de la fontaine, Damase avait pris sa cruche et l’avait portée jusqu’à l’évier. Depuis, lorsqu’il passait devant la maison de Latheulade en allant à la Font-des-Moines, il demandait toujours à la bonne femme :

— Avez-vous besoin d’eau, Françon ?

Ces attentions de Damase avaient touché le vieux révolutionnaire qui gardait avec tous, sauf avec l’archiprêtre, son ancien collègue de la Société Populaire, une réserve farouche, d’ailleurs justifiée par la haine aveugle que lui avaient vouée les nobles, les bourgeois et les dévots. Peu à peu, le jeune garçon s’était familiarisé dans la maison, encouragé par la franche bienveillance du vieillard qui lui prêtait des livres et lui parlait de la grande Révolution. Un matin, Damase entra, comme le vieux jacobin déjeunait dans la cuisine, aux poutres noircies par la fumée qui