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tion, les mystères de l’amour ; tout cela avait donné aux deux amies quelques rudiments de la science du bien et du mal.

Aussi, lorsque Valérie apprit de Liette ce qui faisait l’objet des conversations de la ville, elle en conçut une violente colère que, par orgueil, elle dissimula sous un mépris affecté. Ce n’était plus une jalousie vague qu’elle ressentait à l’endroit de Mme Boyssier, mais une haine féroce. Elle s’indignait et s’irritait que « cette vieille », comme elle disait, eût osé s’approprier un être qu’elle considérait comme sien. C’était un outrage sanglant que d’avoir détourné d’elle, de lui avoir volé ce garçon dont elle disposait orgueilleusement comme de sa chose, en vertu du servage tacite qu’il lui avait voué. Ses sentiments, à l’égard de Damase, étaient moins violents. En de certains moments, pleins de ressouvenirs, elle soupçonnait que, malgré tout, il ne l’avait pas oubliée ; aussi elle l’excusait presque d’avoir, selon toutes les apparences, cédé aux sollicitations de sa patronne. Dans son esprit, plein de préjugés d’un autre temps, la situation de subordination de Damase dans la maison du notaire l’obligeait presque, lui semblait-il, à se prêter au caprice de Mme Boyssier. Lorsque la nuit, ramassant ses pensées, elle se représentait les deux amants au milieu des plaisirs que sa nature sensuelle lui faisait pressentir, elle était prise d’une sourde rage qui lui faisait enfouir sa tête brûlante dans son oreiller. Non pas que son esprit altier consentît à être pour Damase ce qu’était Mme Bovyssier ; non, elle eût cru déchoir en ceci ; mais, physiquement, elle se sentait attirée vers lui, elle le désirait : il y avait comme une lutte entre ses préjugés et ses sens. Ses rêveries amoureuses ne revêtaient pas ces formes tendres et vagues par lesquelles débutent le plus souvent les jeunes