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lui semblait qu’il n’y eût plus de place pour un autre amour. Et puis, il lui eût souverainement. répugné de trahir la confiance de son patron et de la reconnaître en le déshonorant. Dans la situation difficile où il était placé, Damase prit le parti de feindre de tout ignorer, et son attitude resta la même à l’endroit de Mme  Boyssier.

La pauvre femme patienta encore quelque temps, anxieuse, attendant une bonne parole, un signe, un regard d’intelligence. Mais lorsqu’elle fut bien convaincue que Damase refusait de se prêter à l’amour qui la tenaillait, elle s’imagina qu’il avait une maîtresse. Cette idée la fit beaucoup souffrir d’abord, puis, peu à peu, elle en vint par la pensée à consentir à un partage avec cette rivale supposée. Elle eût été heureuse si Damase avait voulu se laisser adorer à deux genoux, sans obligation de réciprocité. Mais il feignait toujours d’ignorer la passion qui la tourmentait, et cela achevait de la désespérer. Elle pensa au suicide, mais ses sentiments religieux la retinrent. Elle eût commis un sacrilège pour posséder Damase, parce que, quoique sincère, elle entrevoyait peut-être inconsciemment l’absolution future, mais la damnation certaine sans le bonheur préalable la faisait reculer.

Sa santé souffrait de ces agitations. Elle ne mangeait guère et passait ses journées dans sa chambre, étendue sur un canapé, rongée par d’ardentes convoitises. Sa figure pâlie avait pris l’expression amère d’une victime du Destin, et ses yeux, aux paupières meurtries, brûlaient du feu de la fièvre qui la tenait. Quelquefois, prise d’un problématique espoir, elle descendait à l’heure du dîner et Damase avait presque des remords en voyant sa figure ravagée et en rencontrant son regard alangui qui lui repro-