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vieille longue-vue qu’elle emporta furtivement dans sa chambre.

Le lendemain, Damase n’alla pas au bain et Mme Boyssier fut, toute la journée, elle si douce et si bonne, d’une humeur affreuse, et bouscula de paroles la vieille Toinon, tout étonnée de cet orage subit. Elle en voulait presque au jeune homme de sa déception. À table elle parla peu, ne mangea guère, trouva tout mauvais et finit par s’attirer cette question de son mari :

— Qu’as-tu donc aujourd’hui, Olympe ?

Elle fut honteuse de son humeur et s’excusa sur la migraine qui est bonne personne et ne donne pas de démentis aux femmes.

Le surlendemain, lorsque Damase sortit de grand matin, elle l’épia, cachée derrière les contrevents entrebâillés. Lorsque le clerc entra dans le Bois-Comtal, elle voulut mettre la lunette au point et s’aperçut alors qu’il y manquait un verre, cassé. Dans la colère que lui causa cette déconvenue, elle jeta violemment l’instrument sur le plancher avec ce juron innocent dont se servaient les dames de Fontagnac pour évaporer leur impatience : « Sucre ! », puis reporta ses yeux sur les frondaisons qui lui cachaient ce corps qu’elle brûlait de voir. Elle attendit là, anxieuse, inquiète, impatiente, espérant l’apercevoir dans une percée du feuillage. Mais, malgré l’acuité de son regard avide, elle ne vit rien. Alors, son ardente convoitise fit surgir en imagination, devant ses yeux, l’image de celui qu’elle aimait. Il lui semblait le voir, sous la voûte ombreuse, se reposant au sortir de l’eau, debout, les bras croisés, beau, tranquille, radieux comme un jeune dieu de marbre ; comme l’Apollon qu’elle avait vu au musée du Louvre, lors de son voyage de noces, et dont la nudité l’avait si fort scandalisée