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le commandeur de Lussac, qui passait pour expert en ces matières, exprima cette opinion que jamais Mme  Boyssier n’avait été plus jolie et plus désirable, même au temps de sa jeunesse, où ses « appas », comme il disait, avaient une célébrité locale. Et cela était vrai. Sa taille, que la maternité n’avait pas déformée, était restée svelte et gracieuse et s’alliait avec une plénitude de formes voluptueuse. La chasteté et la tranquillité de sa vie lui avaient conservé une fraîcheur agréable, et, maintenant, son visage régulier, éclairé par la flamme intérieure de l’amour, prenait une expression de tendresse émue pleine de charme. Elle-même s’en apercevait, et, quelquefois, à sa toilette, peignant ses beaux cheveux blond cendré, elle regardait, avec une secrète émotion, ses épaules grasses et sa gorge encore ferme. Devant la glace, qui lui renvoyait son image transfigurée par l’amour, elle restait quelquefois immobile, comme fascinée, en contemplant ses yeux d’un gris pers qui recélaient la passion dans leurs profondeurs. Dans l’honnêteté de son caractère, elle s’effrayait de ce renouveau de tout son être, comme d’une preuve matérielle de sentiments coupables ; et, connaissant la malignité de la petite ville, elle s’efforçait de le dissimuler.

Mme  Boyssier était pieuse. Le trouble de son cœur et l’obstination de ses pensées, toujours tournées vers Damase, lui donnaient des remords qu’elle essayait d’apaiser par la prière. Le soir, à la tombée de la nuit, elle allait quelquefois à l’église paroissiale, sorte de vaste grange sans caractère et sans poésie. Là, à genoux, la figure dans ses mains, elle priait sincèrement le Crucifié de la sauver des égarements de son cœur. Mais lorsqu’elle relevait la tête et voyait au-dessus du maître-autel le fils du charpentier que, contrairement à la tradition, l’artiste avait peint