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par les baraques des saltimbanques et les voitures des charlatans. Ceux qui avaient affaire en sens opposé remontaient difficilement le courant humain en jouant des coudes. Au milieu de la ville, sur le pont vers lequel convergeaient ces foules, le passage était à peu près impossible : il fallait une demi-heure pour faire cent pas, en s’insinuant comme un coin dans la presse humaine. Aussi, quelques gens pressés, passaient d’une rive à l’autre, au moyen de bateaux de pêcheurs ou de teinturiers, amarrés sur la grève. À midi, la ville était pleine, bondée ; les quais, les rues, les places, les carrefours étaient noirs de monde ; les boutiques, les auberges, les cafés, regorgeaient, et, sur tous les chemins, arrivaient encore les retardataires. On ne marchait plus guère, on stationnait, jusqu’au passage d’un attelage qui faisait des remous où grouillaient dans un pêle-mêle pittoresque, des vestes de bure, des jupons de droguet, des tabliers rouges, des gipous d’étoffe bleue, des blouses roulières, des fichus à palmes, des chapeaux à larges bords, des coiffes blanches, des bonnets de coton, des mouchoirs de tête aux couleurs éclatantes et des casquettes en peau de lièvre avec des oreillons, commodes pour aller à l’affût de nuit. Tous ces gens, hommes et femmes, entremêlés au hasard de la rencontre, faisaient un fouillis bariolé, curieux à voir des fenêtres. De cette foule compacte, serrée, qui avait reçu la pluie du matin, se dégageait comme une buée imperceptible, une fade et désagréable odeur de chien mouillé. Une immense rumeur sourde et continue comme le bruit de la mer montait de cet entassement d’hommes, pressés dans la ville trop petite ce jour-là, et, sur ce brouhaha confus, s’élevait le mugissement des bœufs impatients, et éclataient, furieux et répétés, les coups