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par les passions. Lui-même était dans ce cas. Il se laissait adorer par sa femme ; mais, s’il lui était reconnaissant de ses sentiments, s’il était touché de sa douceur, de sa bonté, il ne l’aimait pas d’amour. Gâté par la littérature romantique, comme beaucoup de jeunes hommes de sa génération, l’amour ne lui apparaissait pas sous ces formes candides ; il avait en tête un idéal de passion espagnole, charnelle, ardente, échevelée, jadis personnifiée en Mlle  de La Ralphie. Quoique maintenant la triste situation de celle-ci eût dû le désabuser depuis longtemps, il continuait à rêver le bonheur sous une forme plus sensuelle que sentimentale, plus passionnée que tendre. Il était, d’ailleurs, époux irréprochable, et sa femme ne pouvait se plaindre, car il lui donnait des marques d’affection capables de lui faire illusion. Elle sentait néanmoins que cette affection n’avait pas sa source dans ce sentiment profond et exclusif que toute femme rêve d’inspirer, mais plutôt dans une sorte de reconnaissance pour l’adoration qu’elle lui témoignait. La douce femme en souffrait quelquefois et supposait qu’un autre amour lui tenait au cœur ; mais elle espérait que la persistance de sa tendresse finirait par effacer ce souvenir. Puis, dans son honnête et candide nature, fière de sa jeune fécondité, attestée par quatre enfants dont le dernier pendait encore à son sein, elle se disait que l’amour appelle l’amour qu’un jour viendrait où son mari, ouvrant les yeux, serait à elle tout entier ; et elle attendait, calme, souriante.

Ce jour vint enfin.

L’asile des aliénés de Leyme, situé dans l’arrondissement de Figeac, est, comme les maisons de ce genre, soumis à des visites d’ordre judiciaire et