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fond de la fressure. Elle se planta une seconde, les narines gonflées, comme en courroux, puis rebroussa chemin brusquement et s’en fut au grand ébahissement du feuillardier.

« Qu’est-ce qui lui prend ? » se dit-il.

De ce jour, elle ne sortit plus. Pendant de longues journées, autour de la cour ou dans la grande salle, elle tournait, tournait sans cesse, portant, plantée au milieu du front, comme un clou rougi à la forge, la préoccupation brûlante du plaisir. Le mauvais temps ne l’arrêtait pas. Sous la pluie, sa pauvre tête malade dégageait une buée légère sans qu’elle s’en aperçût. Puis elle en vint à ne plus sortir de sa chambre, où pendant des journées entières, elle faisait sa promenade giratoire. Longtemps, longtemps, elle vécut ainsi, se colletant nuit et jour avec Asmodée, le féroce démon de la chair. À cette lutte, sa robuste constitution achevait de s’user. Sa vie animale était comme suspendue ; elle mangeait à peine et ne dormait guère. Dans sa figure émaciée, ses yeux agrandis brillaient de cette terrible fièvre du désir inassouvi, qui la faisait auparavant courir les bois comme une laie en furie, et maintenant tourner autour de sa chambre comme une bête captive.

Il fallut des années de cette lamentable lutte pour tuer l’esprit de cette malheureuse femme. Un jour vint où la nuit se fit dans son cerveau incendié. Son état mental s’aggrava brusquement ; ses manies devinrent de la folie ; elle eut des hallucinations de l’ouïe et de la vue, et, quelquefois, tirait par les fenêtres des coups de fusil sur des êtres imaginaires. Ses vêtements semblaient la brûler et elle les arrachait parfois, plutôt qu’elle ne les ôtait, sans souci du froid comme de la décence. Un jour, la Martille et la Géraude, oyant des hurlements affreux, accou-