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Ordinairement, tout le jour il était dans les terres et ne revenait qu’aux heures des repas, lorsque sonnait la cloche, en haut de la tour de l’escalier. Quelquefois, de sa fenêtre, Valérie le voyait traverser la cour de son pas lourd, en se dandinant comme un ours. Peu à peu, la laideur de l’homme et son ignoble vulgarité lui échappèrent ; elle ne vit plus que ce nez qui la troublait. Elle associait cette impression à la réputation de « Barbe-Bleue » faite à Jules par le piéton et aux réminiscences de ses lectures au hasard de la bibliothèque paternelle. Les exploits de certains athlètes du plaisir lui revenaient à la mémoire : c’était le célèbre abbé de Grand-pré, surnommé Quatorze, par les dames, selon le dévot duc de Saint-Simon ; l’extraordinaire protonotaire Baraud, cité par Brantôme ; le mari étrangement importun qu’une bonne reine d’Aragon dut mettre à la raison, au rapport de Montaigne ; et surtout ce terrible Proculus, dont parle l’Histoire Augustine. Ces souvenirs l’agitaient ; il lui semblait que Jules fût digne de ces tristes héros. Peu à peu, cela devint une préoccupation fatigante qu’elle chassait, mais qui revenait promptement ; puis ce fut une obsession maladive de tous les instants qu’elle cherchait vainement à secouer…

Par surcroît, ses appétences, excitées par ces pensées mauvaises, la tourmentaient. Souvent, le sang lui montait à la face, et les oreilles rouges, cuisantes, les yeux brillants, elle allait, venait, s’agitait, brusque, muette et de mauvaise humeur.

— Mademoiselle devrait voyager un peu, se distraire, lui dit un soir la Martille à son coucher.

À quoi bon ? Je m’emporterais toujours en voyage !… Et puis, ce n’est pas bien le temps de voyager. M. Boyssier m’écrit que la révolution est à Paris ; on