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en présence de ce colosse qui lui inspirait des désirs proportionnés à sa taille, elle ne l’eût pas renvoyé, mais, au contraire, agrippé et retenu des ongles et des dents comme une chatte ; et cela l’épouvantait. Car elle avait conscience de l’horreur d’une passion aussi charnellement basse et vile, de l’ignominie d’une semblable tyrannie des sens et de la matière sur le cœur et sur l’esprit. Sa fierté s’indignait de cette sujétion dégradante ; aussi s’efforçait-elle d’échapper à l’obsession qu’exerçait sur elle le souvenir de l’abbé ; mais, malgré sa volonté, elle le revoyait toujours en imagination, superbe de beauté virile comme ces héros antiques que le marbre a immortalisés.

Le heurt de ses sentiments contradictoires, la passion qui voulait, la raison qui refusait, la fierté qui s’indignait, la travaillait et l’inquiétait. Parfois, elle se croyait forte et sûre d’elle-même ; d’autres fois, elle se sentait à la merci d’une occasion. Aussi, pour dompter sa chair révoltée, elle s’imposait une grande activité physique et s’efforçait de refréner ses instincts par l’excès de la fatigue. Et puis, elle se réfugiait dans le passé ; elle s’accrochait au souvenir de Damase comme le noyé à la branche pendant sur l’abîme, et repassait dans sa mémoire les caresses d’âme, les effusions de cœur que lui avait prodidiguées- cet unique amant. Elle fomentait ces ressouvenirs par des objets matériels qui les évoquaient. C’était le berceau du petit Gérard, relégué dans son ancienne chambre, ou bien les armes de l’officier défunt accrochées au chevet du lit, dans cette même chambre qu’elle avait abandonnée depuis la mort de l’enfant. La comparaison des deux amours, des deux hommes lui faisait trouver plus prosaïquement honteuse la passion qui la tenaillait à présent.