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XII


À cette époque, l’Algérie était encore peu connue ; aussi la Martille, qui avait vu tant de choses étranges, devint presque un personnage à Fontagnac. Il fallait l’ouïr pérorer sur la place Mage, lorsqu’elle venait aux provisions, le jour du marché hebdomadaire, et, avec sa verve de soubrette périgourdine, décrire aux bonnes gens de Fontagnac et d’alentour le pays d’Afrique, ses mœurs et ses habitants. On faisait cercle pour l’écouter, et ces paysans et ces ouvriers, tout étonnés qu’il y eût des pays différents du Périgord, poussaient des exclamations en l’oyant parler des Mauresques en pantoufles jaunes, habillées tout de blanc et masquées comme les pénitents de Fontagnac ; des Juives coiffées de bonnets de police chamarrés et cuirassées de corsages brodés d’or ; des Espagnoles aux yeux noirs, la mantille de dentelle sur la tête, qui balançaient leurs courtes jupes en se tortillant. Puis, c’étaient les hommes : de grands diables basanés, avec des dessins bleus sur les tempes, comme ceux que Liberté, le maréchal ferrant, avait rapportés sur ses bras, du tour de France. Ce qui excitait surtout la curiosité des écoutants, c’était cette chose étonnante, qu’on connaissait par ouï-dire, mais qui n’avait jamais été vérifiée par aucun Fontagnacois, à savoir qu’il y avait des hommes tout noirs, plus que Falcon, le charbonnier des Brandes, avec des cheveux comme de la laine, de grosses