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« Voilà donc, pensa-t-elle, la terre maudite qui l’a dévoré. »

Après le débarquement, précédée de ses bagages chargés sur de petits ânes trottinant sous l’impitoyable matraque de Berbères à demi-nus, elle gravissait lentement les rues en pente roide et les escaliers qui, de la Marine, montaient à la ville haute. Tout à coup, dans l’air pur, une voix grave s’éleva, qui, d’un haut minaret, appelait les croyants à la prière :

La Allah ! illah Allah ! Mohamed ressoul Allah !

« Il n’y a d’autre Dieu que Dieu, et Mohamed est le prophète de Dieu ! »

Tout entière à ses pensées, elle passait indifférente, avec la Martille que toutes ces choses, si dissemblables de celles qui lui étaient familières, étonnaient profondément.

L’Hôtel de l’Europe était établi dans une des rares maisons à la française de ce temps, au coin de la rue principale et de la place d’Armes. Dès qu’elle fut installée, Mlle de La Ralphie envoya sa lettre au colonel et attendit.

Au rez-de-chaussée de l’hôtel était un café. De sa fenêtre, elle voyait les officiers arriver au galop sur leurs petits chevaux échevelés, sauter à terre et jeter les rênes à des négrillons nus qui se précipitaient pour gagner un soldi. Une odeur d’absinthe et de tabac montait du café, pénétrante et âcre. Des Maures, en larges culottes, des Juifs, en cafetan ou en veste brodée, des Arabes, en burnous blancs et bruns, aux cordelettes de poil de chameau enroulées autour de la tête ; tous ces gens-là circulaient parmi des soldats de différentes armes : fantassins de ligne ou légers, zéphirs, zouaves, chasseurs d’Afrique, spahis. De temps en temps, une petite troupe d’ânes,