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« J’ai bien pleuré, hier soir, sous mes couvertures. Il s’en va en Afrique, dans ce pays que mon oncle Séverin appelait le tombeau des Français. »

Parfois aussi, son petit cœur aimant s’épanchait en de tendres effusions :

« Mon Dieu que je l’aime ! Sa chère image est toujours devant mes yeux ! »

Et, comme si elle eût voulu assurer la survie de son amour, elle terminait son journal par cette adjuration.

« Mon bien-aimé, lorsque je ne serai plus, pense quelquefois à moi ! »

En lisant les confidences de son amie, Mlle  de La Ralphie éprouva la sensation du voyageur qui pénètre dans une contrée inconnue. Cette tendresse de cœur, cette pure affection d’âme, ce renoncement de soi-même que lui révélait à chaque page le petit cahier de Liette, la surprenaient. Cette absorption de l’amante dans l’être aimé lui semblait étrange et la révoltait presque. Elle ne comprenait pas les joies du sacrifice et ne pouvait concevoir qu’on abdiquât ainsi sa personnalité. Elle voyait dans tout cela une sorte de déchéance et attribuait à la maladie les purs et nobles sentiments de la pauvre Amélie.

À la réflexion pourtant, certaines paroles, comme des lueurs soudaines, lui faisaient pressentir une sorte d’amour différent de celui qui la possédait. « Peut-être, se disait-elle, l’amour n’est-il complet qu’avec cet abandon total de l’être, cette renonciation à toute volonté divergente ; peut-être le bonheur est-il doublé par l’ivresse du cœur et le délire de l’esprit.

« Oui, garder son moi, sa volonté, sa pensée, communiquer avec l’être aimé par les sens seulement, c’était peut-être une sorte d’amour inférieur… se prêter et non se donner… »