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Sur le pont du Vautour, qui faisait le courrier de France, un officier de chasseurs d’Afrique, enveloppé dans son burnous, regardait fixement l’horizon, où une ligne encore incertaine, comme une vapeur bleuâtre, indiquait la côte phocéenne. La mer était tranquille, le temps frais. Un beau soleil d’automne, déclinant dans sa course, faisait miroiter les courtes vagues dans le remous des roues du bateau. À l’avant, des soldats libérés, des permissionnaires, des convalescents, réunis en groupe, chantaient, et, par cette calme fin de jour, les voix montaient sonores dans l’air pur.

Damase se laissait bercer aux harmonies combinées de la nature et des chants : mais, dans sa pensée anxieuse, se dressait toujours le problème de l’avenir de son amour. Quoique sa nature fût essentiellement active et vaillante, il avait quelquefois des accès de mélancolie en songeant que tout ce qu’il avait fait jusqu’ici, ses succès militaires et l’avenir qui s’ouvrait devant lui, seraient probablement inutiles pour son bonheur.

« Demain, je saurai cela », se disait-il en allumant un de ces cigares excellents, fabriqués à Oran, par les doigts agiles des Espagnoles.

Le château d’If, moins célèbre par la captivité réelle de Mirabeau, que par la prison fictive d’Edmond Dantès, commençait à sortir des flots, et les îlots de Pomègue et de Ratonneau faisaient des points noirs