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de lame de couteau de guillotine, qui avait attrapé la croix en poursuivant impitoyablement les bonapartistes sous la Restauration ? Et ce maire qui, dit Tarrade, avait tué tant de Français avec sa lancette, pourquoi l’aurait-on admis ? N’était-il pas au su de tous et d’un chacun qu’il avait été décoré pour avoir fait nommer député M. Duverdière, qui, devenu influent, avait ainsi payé sa dette ? Et cet ancien régent du collège de Périgueux, ne savait-on pas qu’il avait reçu la croix pour une ode à la duchesse d’Angoulême ? Ces vieux braves n’admirent même pas un ancien officier d’administration. Un riz-pain-sel, n’était-ce pas un « pékin » et de la plus malfaisante espèce pour les troupiers ? Si ce n’était pas une honte de décorer des gens qui avaient fait tant de rabiot !

Comme le fit remarquer judicieusement l’ancien capitaine d’habillement, tous ces décorés par l’intrigue, la faveur ou d’autres moyens malhonnêtes, n’étaient pas dignes de fraterniser avec de vrais enfants de Mars ayant conquis leur croix à la pointe de l’épée.

Point n’est besoin de dire qu’on trinqua ferme à ce dîner, et que, sauf Damase, chacun raconta ses exploits, quelque peu amplifiés, peut-être. Toutefois, le capitaine Gillerac, avec sa verve gasconne, éclipsa tous les convives, notamment par le récit de l’affaire de Llers, où il avait occis sept Espagnols de sa propre main.

— Je vous croyais dans l’habillement ? dit le capitaine Laugerie, vexé.

— Est-ce que vous douteriez de ma parole, capitaine Laugerie ? répliqua l’autre en retroussant sa moustache blanche d’un air provocant.

Damase et le maréchal des logis calmèrent ces vieux guerriers qu’après le banquet il fallut reconduire à leur logis respectif.