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qui avait un jeune apothicaire attaché à son service particulier, et Mme  la comtesse de Trévignacq, qui était folle d’un mauvais sujet de lieutenant. En voilà une qui ne se gênait pas ! Elle s’en allait, d’un pas décidé, la tête haute, portant son ombrelle sur l’épaule, comme un fusil, et les officiers, en la voyant passer devant leur café, (disaient entre eux, en riant : Carrion lui a appris l’exercice !

— Tais-toi, mauvaise langue, laisse-moi dormir.

Et Mlle  de La Ralphie se plongeait tout éveillée dans la contemplation idéale de son amant d’élection. Elle se le présentait toujours jeune, beau, dévoué, avec ce prestige que donnent la vaillance et la gloire, avec cette gravité douce de ceux que la mort a effleurés de son aile. Et alors elle était prise d’un désir tenaillant de le revoir, de l’avoir là, près d’elle, de lire dans ses yeux cet amour profond qu’il lui avait voué, de tenir cette main loyale et terrible à l’ennemi ; et, quoi de plus ? Oui, d’étreindre cette poitrine trouée de nobles blessures… Elle se sentait incapable de résister à l’impulsion qui la poussait vers lui, et, fière toujours et jalouse de garder son libre arbitre, se débattait pour reconquérir sa liberté comme une bête empiégée. Puis, l’incertitude la tourmentait : viendrait-il à Fontagnac après sa cure ? et, s’il venait le verrait-elle, seulement ? Elle connaissait assez son caractère réservé pour douter qu’il osât se présenter. Et pourtant, que d’affection dans son dernier regard, lors de la procession de la Fête-Dieu ! Oui, mais depuis, il pouvait avoir oublié son rêve comme irréalisable ; un soldat ne vit pas de souvenirs et change d’amour comme de garnison…

Le lendemain, afin d’avoir une certitude, elle prit le prétexte de la maladie du commandeur, qu’un accès de goutte clouait sur son lit, et s’en fut à Fon-