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stition de femme aimante, il lui semblait que sa médaille avait sauvé la vie de Damase. Le clergé garda le silence. Au cercle, les joueurs de bézigue n’en interrompirent pas leur partie : le capitaine Laugerie et les autres officiers retraités furent les seuls sympathiques, avec le commandeur qui porta la nouvelle à Guersac. Quant à Mme Laugerie, elle exprima son opinion avec sa franchise habituelle :

— C’est un brave, ce Damase, et, avec ça, un beau garçon ! Si je n’avais que vingt-cinq ans, et même trente-cinq, le pauvre Laugerie en verrait de jaunes !

— Oh ! Madame Laugerie ! s’écrièrent en chœur les prudes bourgeoises qui faisaient de la broderie ou de la tapisserie chez Mme Decoureau.

Mlle de La Ralphie reçut la nouvelle avec un plaisir intense qu’elle ne songea pas à dissimuler. Elle était heureuse de voir justifier par Damase le penchant qui l’entraînait vers lui et elle lui savait gré, en quelque sorte, de diminuer par son mérite la distance qui les séparait. Désormais, son ancien page rustique, qui suivait sa bourrique, tête et pieds nus, l’ex-clerc de M. Boyssier s’idéalisaient dans sa pensée, ou plutôt s’effaçaient : il ne restait plus que le vaillant soldat d’Afrique. Non pas qu’elle admît une parité de condition entre eux, non ; elle n’allait pas jusqu’à mettre la noblesse personnelle au même rang que la noblesse héréditaire ; mais elle admettait tacitement une sorte d’égalité naturelle qui pouvait, lui semblait-il, justifier tous les entraînements du cœur et des sens.

— C’est dommage, disait-elle à M. de Lussac, en suivant ses pensées, c’est dommage que des hommes comme cela ne soient pas nobles ! Celui-ci a tout ce qui constitue la noblesse, et je me persuade même qu’il est le fils bâtard de quelque gentilhomme…