Page:Eugène Le Roy - Mademoiselle de la Ralphie, 1921.djvu/144

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aujourd’hui oublié, parvint à Fontagnac par l’Écho de Vésone, qui avait pour correspondant bénévole, à Oran, un aide-major originaire de Périgueux. Grâce à ce zélé compatriote, les diverses péripéties du combat, la bravoure de Damase et son dévouement héroïque furent l’objet de toutes les conversations de la petite ville ; on ne parlait que de cela sur le pont et on en oubliait les affaires de Taïti qui commençaient à faire du bruit. Toutefois, l’impression fut différente, selon les milieux. Les artisans, les gens du peuple se réjouissaient franchement de l’honneur reçu par un des leurs. Un sergent, légionnaire de l’Empire, le vieux Tarrade, qui, voyant le gouvernement de Juillet prodiguer la croix à ses créatures, avait coutume de dire qu’on en faisait « paillade », c’est-à-dire litière, applaudit hautement cette fois. Le maréchal des logis de la gendarmerie secouait ferme la main du vieux brave et disait :

— C’est moi qui lui ai conseillé de s’engager aux chasseurs d’Afrique ; je savais bien que c’était un crâne.

La bonne société prit la chose plus froidement, avec une sorte de jalousie. Il semblait à tous ces messieurs que la croix était une sorte de privilège réservé à la classe bourgeoise. Ce sentiment, toujours grandissant dans le juste-milieu, a fait, sous le deuxième Empire, inventer la médaille militaire pour les simples troupiers : que diable, il faut bien garder son rang ! Garder son rang, c’est là l’éternelle préoccupation de ces fils de paysans affranchis par la Révolution.

M. Boyssier jeta le journal dans un accès de dépit et laissa la relation du médecin militaire pour aller classer ses silex. Mme  Boyssier, elle, s’enferma dans sa chambre et pleura de douces larmes. Dans sa super-