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étudier la théorie, aucun de ses camarades n’en fut étonné. La Douceur qui, le premier moment de mauvaise humeur passé, était devenu son camarade de lit, ce qui, dans l’armée de terre, équivaut au « matelotage » dans la marine, La Douceur disait :

— Le bougre arrivera sous-officier, et même peut-être « mar-chef » !

Il tardait fort à Damase d’échapper à la vie de quartier, très ennuyeuse et monotone, car la garnison d’Oran était, à cette époque, resserrée dans la place et il ne faisait pas bon s’aventurer seul hors des murs. Aussi fut-il heureux une nuit d’entendre sonner : « À cheval ! »

Ben Tamy, khalifat d’Abd-el-Kader, était dans la plaine du Sig avec de nombreux contingents. Lorsque arrivés en vue de l’ennemi, les escadrons tirèrent le sabre et prirent le trot pour le rejoindre, Damase éprouva une émotion assez vive. Non pas qu’il eût peur, mais il ressentait cette impression d’une situation nouvelle, qui débute par un certain étonnement du danger auquel succède, dans l’action, une sorte de griserie guerrière que suit un sentiment de satisfaction lorsqu’on est sorti sain et sauf de la bagarre. C’est ce qu’éprouvent la plupart des conscrits, car les vieux soldats sont plus rassis : le danger blase comme le plaisir.

Pendant que les chasseurs avançaient, les Arabes tiraillaient à force et les balles sifflaient dans les rangs, faisant secouer la tête des chevaux, incliner parfois celle d’un « bleu », et, çà et là, blessant quelqu’un. À cent pas de l’ennemi, les escadrons prirent le galop, et à cinquante pas chargèrent. Les chasseurs pénétraient comme autant de boulets dans cette masse de cavalerie qui s’élançait sur eux. Les cris gutturaux des Arabes, le hennissement des chevaux,