Page:Eugène Le Roy - Mademoiselle de la Ralphie, 1921.djvu/116

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas avec elle en l’absence du capitaine, la conclusion que la mission dont ces honorables espions étaient chargés devait être singulièrement intéressante, puisque l’institutrice sacrifiait une de ses leçons. Alors il rentra chez lui ; ostensiblement éteignit sa lumière, et, vers minuit, passant par le verger, il gagna une ruelle continuée par un chemin qui le mena sur le bord de la rivière, fort en aval du pont, en traversant les prés. Arrivé là, il se déshabilla, fit un paquet de ses habits qu’il attacha au-dessus de sa tête, entra sans bruit dans l’eau et se mit à la nage. Sur l’autre rive, il se rhabilla sous les arbres, gagna à pas légers le mur du jardin du notaire, et, après l’avoir escaladé, se trouva près d’un banc où Mme Boyssier l’attendait.

Son cœur l’avait conduit à ce rendez-vous. Les dangers continuels que couraient nos soldats, dans la guerre de surprises et d’embuscades que leur faisaient les Arabes, les maladies qui les guettaient, le typhus, le choléra et ces terribles fièvres d’Afrique qui ne disparaissent jamais complètement, tout cela, exagéré encore par son amour, lui donnait des inquiétudes cruelles. Aussi, lorsqu’elle saisit les mains de Damase et l’attira muette sur sa poitrine, le jeune homme sentit des larmes chaudes lui tomber lentement sur le visage, tandis que ce cœur, qui l’aimait tant, battait à coups précipités.

Ils restèrent longtemps ainsi ; elle, acceptant le sacrifice douloureux de son bonheur, comme une expiation de ses sentiments coupables, et lui, savourant la douceur de cette étreinte quasi maternelle. Certes, en l’appelant pour la dernière fois, elle n’avait été mue par aucune sollicitation des sens ; elle voulait le revoir, le bercer dans ses bras comme son enfant, lui donner de ces tendres conseils que les femmes,