Page:Eugène Le Roy - Les Gens d’Auberoque, 1907.djvu/96

Cette page a été validée par deux contributeurs.

songeait aux déchirements angoisseux de la séparation, à ces promesses réciproques d’un amour éternel, à ces adieux mouillés de larmes, à ces étreintes désespérées, et qu’il se retrouvait, à trois semaines de distance, déjà rasséréné, il s’étonnait de cette accalmie subite de son cœur et de ses sens. S’il eût analysé plus exactement ses sentiments, il eût été encore plus surpris de constater au fond de sa pensée, avec une sensation de bien-être et de paix, la satisfaction d’être libre de tous liens, sans avoir les torts d’une rupture.

Après les premiers froids, vinrent les neiges, alternées de pluies glaciales et d’âpres gelées, — à pierre fendre, comme on dit. — Lorsqu’il faisait trop mauvais temps, M. Lefrancq restait chez lui, travaillait ou lisait, s’interrompant parfois pour aller à la fenêtre contempler le paysage attristé par l’hiver. Un peu au-dessous de lui, le jardin aux allées bordées de buis, où sautillait quelque passereau cherchant sa pâture. Sous la terrasse du jardin, les prés morts descendaient en pente roide jusqu’au fond du vallon, où venaient s’abattre des vols de sansonnets. Là, le petit ruisseau gelé dormait entre les bordures de vergnes qui le suivaient dans ses contours capricieux. Au delà, des ondulations de bois et de terres cultivées remontaient en s’étageant jusqu’à l’horizon, fermé en quelques endroits par un rideau d’yeuses rabougries. Le receveur restait là souvent, le front