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sur l’horizon. La vie était comme suspendue par le froid hivernal. Les mésanges, les rouges-gorges, les roitelets, les pinsons, avaient déserté les bois pour les jardins et les alentours des bourgs et des villages. Le long des vieux chemins bordés de murailles ou d’épaisses haies de ronces et d’épine noire sur lesquelles pendaient les pousses mortes des clématites, les chardons-peignes haussaient leurs têtes rondes desséchées. Au lieu du chant des oiseaux, de l’excitation câline du bouvier à ses bœufs lents, des couplets alternés des moissonneurs, ou de la chanson de la bergère « touchant » son troupeau à la lisière d’un pré, un silence coupé au loin par l’aboi d’un chien solitaire, ou le croassement d’une bande de corbeaux, planait sur la campagne endormie.

Lorsqu’il s’en allait ainsi par les chemins creux des combes, faisant craquer la glace dans une empreinte de pied de bœuf, ou qu’il grimpait les sentiers rocailleux au flanc des coteaux roux, tavelés de touffes de buis à la verdure sombre, il semblait au jeune homme que ce silence et ce sommeil de la nature se reflétaient dans son cœur aux mouvements assoupis. Le souvenir de l’amie crue oublieuse s’affaiblissait de jour en jour et n’éveillait plus dans son esprit qu’un vague sentiment de mélancolie dépourvu de toute amertume. Un apaisement rapide s’était fait en lui, et semblait justifier les procédés expéditifs de mademoiselle de Caveyre. Lorsqu’il