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question d’âmes-sœurs, séparées par la destinée, de cœurs battant à l’unisson, d’étoiles contemplées à deux, de myosotis cueillis au bord des ruisseaux et de pensées s’envolant à travers l’espace ; le tout enveloppé d’une phraséologie mouillée des larmes qu’il fallait dévorer d’un front serein, et qui, longtemps contenues, se déversaient dans les quatre pages serrées de l’amante dépareillée.

Mademoiselle de Caveyre ne comprenait rien à toutes ces belles choses, et haussait les épaules en lisant ce charabia romantique. Tout cela était si éloigné de sa conception de l’amour qu’elle croyait à peine qu’il y eût des gens allant ainsi chercher midi à quatorze heures, alors que la chose était si simple : « Je te plais, tu me plais, nous nous plaisons ; pourquoi perdre son temps aux bagatelles de la petite oie ? »

Puis, comme la directrice avait jeté son dévolu sur M. Lefrancq, elle supprima résolument la lettre :

« Ces pauvres bétas s’entretiendraient mutuellement de balivernes mélancoliques, pour, en fin de compte, prendre, l’une un amant, l’autre une maîtresse. Tranchons dans le vif ! Je leur épargne ainsi deux ou trois mois de lamentations éplorées et pas mal de timbres-poste. »

Et voilà comment les deux lettres qui suivirent celle-ci eurent le même sort…