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session de l’être aimé, ce bonheur entrevu dans le consentement muet de Michelette, il en faisait le sacrifice présent, et se résignait à cette austère transformation des joies éperdues des amants heureux en une étroite union d’âmes, en une certitude intérieure de possession morale, profonde, absolue : avec le sentiment du devoir patriotique à remplir, cela lui suffisait. Une chose le troublait cependant : s’il partait, s’il était tué, que deviendrait Michelette ? Pouvait-il l’abandonner ainsi ?

Mais, après quelques jours de pensées péniblement anxieuses, M. Lefrancq prit une résolution virile. Il fit son testament, qu’il confia à M. Farguette, et, ayant assuré l’avenir de son amie, autorisé par l’administration, et remplacé au bureau par un surnuméraire ravi de se blottir dans ce petit trou, il partit laissant la jeune fille sous la protection du pharmacien et dans la compagnie d’une sœur du défunt Desvars, qui vint habiter avec sa nièce.

Ce départ fut généralement blâmé, ou tout au moins jugé bien étrange : « Qu’allait-il faire là-bas, puisque par ses fonctions il en était exempt ? Il fallait être bien sot pour s’exposer à se faire casser la tête, n’y étant pas obligé !… »

Pendant de longs mois, Michelette vécut dans ces horribles transes que connurent tant de femmes de ce temps. Des visions funèbres l’assiégeaient. Dans ses insomnies, elle voyait son ami étendu mort, li-