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qui avait cru d’abord à une indisposition passagère, tant en raison de l’état d’esprit de son père, que par ce besoin d’illusions dont sont travaillés ceux qui soignent des malades aimés, finit par comprendre la gravité de la situation. Quelque soin que prissent le pharmacien et M. Lefrancq de dissimuler leur opinion sur l’état de M. Desvars, la fréquence de leurs visites était significative. Une tristesse muette l’envahit, faite de douleur et de résignation, en voyant son père glisser petit à petit sur cette pente de la vie au bout de laquelle est un trou noir au cimetière. Vers la fin, lorsqu’il ne fut plus possible de cacher la triste vérité, les deux amis veillaient le malade, la nuit, à tour de rôle, et, dans leurs yeux attristés, il semblait à Michelette lire écrite la terminaison fatale. Devant M. Farguette, elle se contraignait et s’efforçait de porter courageusement sa peine ; mais seule avec M. Lefrancq, elle s’attendrissait un peu.

— Pauvre chère ! lui dit-il, un jour, en lui prenant la main ; ne craignez pas de me montrer votre chagrin : que je sois de moitié dans toute votre vie !

Alors elle pencha la tête sur la poitrine de son ami et pleura silencieusement.

Une nuit, la dernière, ils étaient seuls à veiller le mourant. Dans la vaste chambre, une lampe éclairait petitement le lit laissant des coins pleins d’ombre qui décelaient confusément de vieux meubles où s’accrochaient des rayons de lumière à une ferrure