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ses rêves de bonheur. Michelette, quoique toujours inquiète de l’avenir, oubliait parfois ses appréhensions, et se laissait aller à la douceur d’être aimée de ce jeune homme au cœur d’or, au caractère loyal, que toutes les femmes, lui semblait-il, devaient aimer.

Toutes, non ; mais à Auberoque, outre madame Jammet qui l’avait convoité dans une soudaine flambée de femme mûre, et mademoiselle de Caveyre, qui le désirait toujours avec toute l’ardeur de sa nature passionnée, d’autres cœurs battaient pour lui. D’abord, l’aînée des demoiselles Caumont, celle que l’affreuse Creyssieux disait être « sur l’œil » et qui n’était qu’une enfant gâtée un peu romanesque ; puis la petite « miss Monturel ». Celle-ci était littéralement folle du receveur, et s’ingéniait à l’attirer chez ses parents sous le prétexte d’une partie de crocket, d’une garden-party, d’un five o’clock tea : propositions déclinées le plus souvent, mais acceptées une fois de loin en loin, par politesse. Et puis, à l’instigation de sa fille, M. Monturel conviait le receveur à dîner quelquefois, et alors elle était tellement heureuse qu’elle le laissait un peu trop percer et en oubliait presque son anglomanie. Lorsqu’il avait été obligé d’accepter une invitation de ce genre, M. Lefrancq disait à Michelette :

— Ma bien chère, je n’aurai pas le bonheur de vous voir ce soir : je dîne chez le percepteur.