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fumier en fermentation dégageaient leurs émanations infectes et laissaient couler leur purin dans la rue. Près de l’hôtellerie du Cheval-Blanc, au centre de la place, la vieille halle au pavé noir et gluant, où le boucher d’à côté tuait les bouvillons, servait aussi de pissoir aux voisins et d’abri aux cochons et à la poulaille lorsqu’il pleuvait. L’autre boucher tuait ses bêtes dans une écurie, d’où le sang découlait sur le vieux chemin. Le balayage public des rues et des places était chose inconnue ; quant au balayage privé, chaque ménagère repoussait devant sa porte les « bourriers » de ménage, et c’était tout. Sur la place même, à deux pas de la mairie, devant la boutique du perruquier, des poignées de cheveux noirs, blonds, châtains, gris, produit de la tonte humaine, rejetés par le balai, étaient dispersés par le vent. Chose étrange pourtant, quoique cette bourgade fût sans doute la plus sale du Périgord, comme pour narguer les lois de l’hygiène, elle était d’une salubrité exceptionnelle. De mémoire d’octogénaire, on n’y avait vu de maladies épidémiques ; la suette même, qui ravagea le département en 1841, l’avait laissée indemne. Les fortes têtes attribuaient cette immunité, quelques-uns, à la situation du lieu, balayé par tous les vents de l’horizon ; d’autres, à l’épaisseur d’un banc de roche dure, qui empêchait la contamination des puits ; d’autres enfin, aux pluies d’orage, qui net-