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l’esprit cauteleux, au cœur vil, qu’était madame Chaboin, il ne pouvait s’empêcher de récriminer intérieurement contre la Providence :

« Loué soit Dieu en toutes choses, se disait-il naïvement : pourtant je crois bien qu’il s’est trompé en permettant que cette coquine prospère ! »

Mais le frère n’était pas à craindre pour les candidats du château, car s’il n’estimait point l’ancienne directrice occulte de la « Compagnie de la Mer nouvelle de Tombouctou », il détestait aussi les libéraux et les libres penseurs comme M. Farguette ; en conséquence, il se désintéressait de l’élection.

Ce qui devait arriver en de semblables conditions arriva. Les électeurs qui dépendaient de madame Chaboin, les ouvriers embauchés depuis quinze jours pour des travaux inutiles, vinrent voter par escouades, leur bulletin plié préalablement dans leur carte d’électeur tenue ostensiblement à la main, et sous la surveillance du garde et des gens du château surveillés eux-mêmes par M. Guérapin. On ne les lâchait qu’à la porte de la salle de vote, au moment où la substitution d’un autre bulletin n’était plus possible. Au Café du Périgord, Coustau, l’entrepreneur, maquignonnait les voix ouvertement, et dans l’escalier obscur de la mairie, M. Bourdal, comme une vieille gaupe en cheveux gris, raccrochait les électeurs. Grâce à tout cela, à l’argent ré-