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furent au salon, madame Chaboin ouvrit un grand piano à queue et y installa la dame, qui aussitôt préluda avec une énergie à laquelle les vins généreux de son hôtesse n’étaient peut-être pas étrangers, car elle n’avait mis ses gants dans aucun de ses verres. Pendant ce temps, le « docteur » était allé faire un petit tour et prendre l’air dans la cour d’honneur. Après avoir copieusement arrosé dans l’ombre une superbe corbeille de pétunias, M. Grosjac revint au salon, où il ingurgita plusieurs petits verres de cognac « grande champagne », de chartreuse du R. P. Garnier et de kummel authentique ; après quoi il s’enfonça dans un fauteuil où il ne tarda pas à s’assoupir, malgré les roulades et les grands éclats de voix de son épouse.

Quant à madame Chaboin, elle bâillait nerveusement à se décrocher la mâchoire.

Au retour, les époux avaient à peine franchi le pont-levis que madame reprocha véhémentement à monsieur sa sottise et son ignorance mondaine. Était-il possible qu’on pût prendre le contenu d’un rince-bouche pour un breuvage !… Et même, cette eau n’était plus destinée à se rincer la bouche : les gens qui savaient vivre se bornaient maintenant à y tremper délicatement le bout des doigts… Il fallait être vraiment crétin pour ignorer ces choses-là.

Le vétérinaire essuya sans broncher la bordée de sa douce moitié ; puis, lorsqu’elle eut fini, il lui