l’eau était rare, un puits artésien qui devait faire jaillir ses ondes bienfaisantes au beau milieu de la place. Après son élection, l’affaire avait été « mise à l’étude », comme il disait, c’est-à-dire en réalité renvoyée à la venue des coquecigrues électorales. Mais la désinvolture avec laquelle il s’était moqué des jobards électeurs lui avait fait du tort. Cette affaire et d’autres du même genre avaient été exploitées par ses ennemis ; son prestige était entamé, on ne croyait plus à ses promesses dans le pays.
Ce personnage, nul dans une affaire sérieuse, était impayable comme tripoteur de petites intrigues louches, comme courtier politique marron, comme conseiller-commissionnaire. C’était lui qui intervenait pour faire gracier les braconniers de nuit, les pêcheurs à la chaux, les détenteurs de faux poids, les tenanciers de tripots clandestins. Il recommandait les conscrits de bonne famille aux conseillers généraux, et, quoique peu considéré de ses collègues, faisait quelquefois réformer ses protégés en promettant la réciprocité. C’était encore lui qui faisait donner des chemins de croix aux fabriques, et des livres de prix aux écoles ; c’était lui toujours, qui accompagnait l’orphéon aux concours, et présidait honorifiquement le comice agricole du canton. À Paris, il courait les ministères et les administrations, apostillait les affaires, parlait pour ses amis et faisait déplacer les hostiles avec l’appui du cousin député,