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suite qu’il y avait là une bonne aubaine pour elle.

Depuis son arrivée, la dame d’Auberoque n’avait rendu aucune des visites des habitants du bourg : madame était souvent absente ou indisposée, disaient ses gens ; elle, dédaignait de s’excuser. Mais, en conséquence du plan qu’elle s’était tracé pour la réussite de son projet, madame Chaboin daigna se manifester aux bonnes gens d’Auberoque et descendit un jour en costume gris, corsage pareil à un gilet d’homme, jupe collante comme une culotte, chapeau mou cavalier, et canne à la main. Ce fut tout un événement dans la bourgade. La première maison sur son chemin était celle de M. Monturel. Le percepteur, apercevant l’archi-millionnaire, se précipita hors de son bureau, et, arrivé tout près, la salua d’un mouvement de tête brusque et accentué, comme un bélier qui veut choquer des cornes. La châtelaine, entrée dans le bureau, pensait en être quitte pour une visite sans façon au percepteur, mais celui-ci s’était élancé déjà sur l’escalier, criant :

— Madame Monturel !… Madame Chaboin !…

Il n’en put dire davantage, tant il était émotionné d’avoir là, dans sa maison, une femme aussi riche.

Il fallut, en conséquence, qu’après un gros quart d’heure employé à parler de l’affaire de la station, madame Chaboin montât au salon, où madame Monturel et sa fille, ayant revêtu à la hâte leur plus belle