Page:Eugène Le Roy - Le Moulin du Frau.djvu/89

Cette page a été validée par deux contributeurs.

tume. Seulement lorsqu’il allait à cheval, il avait de grandes bottes au lieu de souliers, et l’hiver par le mauvais temps, il mettait un tablier en peau de bique qui lui donnait l’air d’un ours à cheval. Il était grand, et avait l’air de quelqu’un avec son nez recourbé, ses moustaches un peu rousses taillées en brosse, et ses petits favoris coupés carrément à la hauteur des oreilles. Il avait quelque chose de militaire dans sa manière d’être, et, en effet, il avait servi dans les gardes du corps de Charles X.

Il me reçut avec une rondeur joviale, selon son habitude avec les petits, les paysans, avec tous ceux qu’il regardait comme trop au-dessous de lui pour que ça tirât à conséquence. Mais avec les bourgeois, les gens du gouvernement, les messieurs, il était très raide, et éloignait toute espèce de ces familiarités que font naître souvent le voisinage, même entre gens de classes différentes. Lorsqu’il passait un acte pour vendre une terre, ou quelque bois, ce qui arrivait souvent, il ne manquait jamais de faire coucher tout du long dans l’acte, par le tabellion, comme il disait, ses noms, titres et qualités : Antoine Silain de Pons, vicomte de Puygolfier. Les soirs de chasse, à ce que contait un de ses voisins et camarades, après avoir bien bu et festoyé, il prétendait descendre d’un puîné d’une ancienne maison de Pons, illustre à ce qu’il paraît ; mais ses amis ne faisaient qu’en rire.

Au demeurant, quoiqu’il fût égoïste, on ne peut pas dire qu’il fût un méchant homme. Avec ça, il faisait quelquefois des choses qui n’étaient pas de faire, par caprice ou par colère. Ses goûts n’étaient point luxueux ; la vie large du petit noble campagnard lui suffisait. Pourvu qu’il eût une table bien servie, car il était gros mangeur et grand buveur, il se contentait des ressources du pays, buvait son vin à l’ordinaire et en extra s’arrangeait de vieux vin de Saint-Pantaly. Il mangeait sa volaille, chapons, ca-