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persuasion de M. Masfrangeas, avait tourné de ce côté, tous les rêves d’avenir qu’elle faisait pour moi, comme font toutes les mères, et je ne pouvais bonnement guère penser autrement qu’elle, après avoir tant entendu vanter cette carrière, ni la contrarier, quand même j’aurais pensé autrement. Au reste, les quelques années que j’ai passées à la 3e division de la Préfecture ne m’ont pas été inutiles, car elles m’ont dégoûté pour toujours, de toute vie enfermée, malsaine, éloignée de la nature ; elles m’ont appris les misères qui se cachent sous des apparences plus brillantes, et m’ont fait estimer à leur valeur, la santé, le grand air et la liberté. Combien de fois depuis, j’ai reconnu la grandissime vérité de ce dicton de mon oncle, que je translate ici de notre patois en français :

Maître de soi, maître chez soi ; petite maison, grand cœur : voisin du bonheur.

Quand la demoiselle Ponsie eut fini de repasser, je lui aidai à monter dans sa chambre tout son linge qu’elle empilait sur mes bras étendus. C’était toujours sa petite chambre avec des boiseries peintes en blanc ; ses rideaux de lit et de fenêtre, en ancienne toile à fleurs bleues ; ses chaises à pieds contournés, et sa commode au ventre arrondi, avec des poignées de cuivre. Au-dessus de la cheminée, il y avait dans un cadre doré, une petite glace, et, plus haut, une peinture représentant un berger ; non pas de ces bergers dépenaillés de chez nous, mais un berger en culotte rose et bien poudré, qui offrait à sa bergère deux tourterelles dans une cage.

Après que tout fut bien rangé dans les tiroirs, la demoiselle me fit monter au second, où personne ne couchait, et qui n’était même pas meublé. Dans une chambre tournée au nord, on mettait le fruit sur des couches de paille et sur des claies. Après avoir choisi quelques pommes, nous redescendîmes faire collation avec, et des fromages de chèvre au gros sel.