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bien ; qu’il se couche seulement comme un pauvre âne trop chargé, mal nourri, et tout s’arrête dans le pays.

Il ne faut pour ça que s’entendre. Quelque jour, je vous le dis, la terre sera au paysan. Nous autres nous ne le verrons pas, je crois bien, mais ceux qui viennent après nous, verront ça. En attendant, il faut prendre courage, se relever, se retourner quelquefois contre les gens méchants et durs. Ça ne sert de rien d’être craintif et soumis, au contraire : c’est sur le cheval qui tire le plus qu’on tape toujours. Rappelez-vous qu’une poule en colère fait fuir un chien, et ne craignez pas de résister à l’injustice, quoiqu’elle ait la force pour elle en ce moment.

Nous avancions en parlant ainsi, et la compagnie s’égrenait dans les villages. À Saint-Germain, deux nous donnèrent le bonsoir et restèrent. À la Maison-Rouge, un autre prit le chemin de Saint-Jory, et nous deux nous continuâmes le nôtre :

— Dire que nous en sommes là, cinquante ans après la Révolution ! fit mon oncle quand nous fûmes seuls.

Le lendemain après dîner, je m’en fus vers Puygolfier, et, en chemin, je pensais à la demoiselle. Étant tout enfant, je l’aimais avec passion, et même quelque chose de plus, car j’avais pour elle une sorte d’adoration, tant elle était bonne, et belle plus qu’aucune femme que j’eusse vue. En suivant le chemin creux, pierreux et bordé de chênes qui contourne le flanc du terme, et où les roues des charrettes avaient fait des ornières dans le roc, voici que toutes mes innocentes admirations se ravivaient comme un feu dans les terres au souffle du vent.

Quand on était en haut, le chemin tournait en revenant un peu sur lui, et finissait à une allée de noyers d’une centaine de pas, au bout de laquelle on voyait, percée dans un fort mur de clôture de dix