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Nous revînmes le soir avec quelques voisins. Tout en marchant, mon oncle leur parlait des affaires et leur disait qu’il fallait regarder plus loin que le clocher de son village, et s’intéresser à ce qui se passait en France. Ils trouvaient bien qu’il avait raison ; mais voilà ils avaient peur, les pauvres gens : oui, ça peut sembler fort à ceux qui ont la vie et la liberté assurées ; ils avaient peur des nobles, revenus aussi puissants que sous le roi d’avant ; peur des curés qui faisaient la pluie et le beau temps dans nos campagnes ; des notaires qui leur avaient fait prêter de l’argent ; peur des maires aussi, qui représentaient le gouvernement, et des gros bourgeois qui vous faisaient des procès aux mauvaises têtes, comme ils les appelaient, et les ruinaient. Les métayers craignaient leurs maîtres ; les journaliers, les propriétaires qui les occupaient ; les artisans, les bourgeois qui les faisaient travailler : Faut bien du pain pour les droles, n’est-ce pas ?

— Les pauvres seront toujours les pauvres ! disaient-ils bonnement : que pourrions-nous faire ? Nous ne sommes pas libres, nous ne votons pas, nous ne sommes rien, nous ne comptons que pour payer les tailles !

— Patience, cela viendra, disait mon oncle, Périgueux ne s’est pas bâti en un jour. Ceux qui travaillent, finiront par comprendre qu’ils sont les plus nombreux et les plus forts. Ce n’est pas les riches qui vous donnent le pain ; c’est au contraire vous autres qui les nourrissez et les entretenez de tout. Que feraient-ils de leurs biens si vous ne les leur travailliez pas ? Que produiraient leurs propriétés sans vous ? des ronces, des chardons et du chiendent. Leurs revenus, ils les tirent de vos bras, n’est-ce pas ? Le jour donc où les paysans ne travailleraient plus pour eux, que deviendraient-ils ? ils crèveraient de faim. C’est le peuple qui fait tout marcher, vous entendez