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ment sur les bords de l’eau, leurs cimes pointues au-dessus des vergnes et des saules. Quelquefois une pluie serrée tombe lourdement sur l’eau comme des balles de plomb, et c’est triste. Mais en ces beaux jours de la Saint-Martin, où nous sommes, la rivière charrie lentement les feuilles mortes ; elle fume, et cette brume fine se répand dans la gorge, amortissant encore les derniers rayons d’un pâle soleil qui se meurt pour renaître à la Noël.

L’hiver c’est encore autre chose : plus une feuille aux arbres ; les prés sont morts, grisâtres et tristes ; la terre est durcie par la gelée ; les herbes folles et les grands chardons desséchés sont blancs de givre, et le long des rives dans les petits creux où l’eau dort, la glace est prise. En haut des rochers, les squelettes noircis des grands châtaigniers se dressent immobiles sur le ciel couleur de plomb. Tout est endormi et repose ; pourtant dans le terme, les ajoncs vivaces au milieu des bruyères grises et des fougères séchées, éclairent leur verdure terne de quelques fleurs jaunes, et les houx aux feuilles luisantes montrent leurs belles grappes de graines rouges. Lorsqu’il gêle fort, on voit quelquefois tout là-bas, dans le fond du goulet, une troupe de canards sauvages qui cherchent leur manger, tandis que dans l’air monte lentement la fumée lourde de quelque feu de bergères, et que plus haut passe en couahnant des bandes de graules.

J’ai entendu quelquefois des gens de la ville dire : oui, la campagne, c’est jolie l’été et pendant les vacances, mais l’hiver, c’est bien triste.

Hé bien, moi, je l’aime en tout temps la campagne ; lorsqu’elle commence à s’éveiller, lorsqu’elle porte les blés mûrs, lorsqu’elle décline comme un malade qui s’en va, lorsqu’elle est morte l’hiver. Quelquefois de la cime des côteaux au-dessus de chez nous, je regarde une grande étendue de pays couverte de