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quintal de sel, du sucre, de la chandelle ; ça lui a pris du temps ; et puis tu sais, Nogaret, il aime un peu à s’amuser, dit la vieille.

— Ah ! par ma foi, interrompit le vieux Puyadou, les garçons ce n’est pas comme les filles ; pourvu qu’ils reviennent avec leurs deux oreilles, c’est tout ce qu’il faut.

Nous nous mîmes à rire et nous repartîmes.

En sortant de Coulaures, il nous fallut quitter la route pour suivre un chemin qui remontait dans la même direction que l’Isle.

— Avec tout ça nous nous sommes amusés, fit mon oncle, nous n’arriverons guère avant la nuit.

— C’est le tabac qui en est cause, dis-je.

— J’aurais bien pu en prendre à Périgueux, mais vois-tu, il faut toujours donner du débit à ceux qui nous en donnent. Les Puyadou font moudre chez nous et presser l’huile, et nous, nous leur prenons le sel, le poivre, l’empois et tout ce qui nous fait besoin. Par ce moyen chacun fait ses affaires, et l’argent ne sort pas du pays. Il faut qu’il circule entre tous les gens de métier : cordonnier, tailleur, tisserand, faure, menuisier. Tous ces gens-là vont chez Puyadou, n’est-ce pas, boire un coup ou acheter quelque chose ; il est juste qu’il leur en revienne une partie en travail.

Ils vont aussi chez les marchands ; et chez le notaire, et chez Le curé, pour se marier, faire baptiser ou enterrer ; il faut donc que les aubergistes, les marchands, le notaire et le curé fassent travailler ces gens-là, leur fassent faire des souliers, des habits, de la toile, des meubles, et leur fassent ferrer leurs chevaux et leurs bœufs, sans quoi ils sont bonnement perdus.

Ce qui ruinait nos pays avant la Révolution, c’est que les seigneurs recevaient tous leurs revenus, percevaient leurs rentes, leurs redevances, tiraient tout ce qu’ils pouvaient de leurs gens, et s’en allaient fri-