Page:Eugène Le Roy - Le Moulin du Frau.djvu/52

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Ça n’est pas plus drôle que de voir un petit homme comme le charron de Coulaures s’appeler Grand ; ni un rousseau comme le tisserand du Taboury s’appeler Brun. On voit tous les jours des Gros qui sont minces, des Petit qui ont cinq pieds six pouces, et des Blanc qui sont noirs ; mais l’accoutumance fait qu’on n’y prend garde.

À Savignac, il fallut nécessairement nous arrêter un peu. Un ami de mon oncle, l’aubergiste du Cheval-Blanc, se planta sur la route, les jambes écartées, les mains dans les poches, comme s’il eût voulu nous barrer le passage. Quand nous fûmes arrêtés, il tourna autour de la mule.

— Jolie petite mule ; et tu as payé ça ?

— Devine !

— Dans les quarante pistoles, hé ?

— Pas tout à fait.

— Allons, attache tes bêtes à l’anneau, vous allons trinquer.

Quand il eut versé dans les trois verres au bout de la table, l’aubergiste dit :

— C’est ton neveu ?

— Oui, répondit l’oncle en me regardant, c’est mon neveu, et depuis que mon pauvre frère est mort, il y a tantôt deux ans, c’est comme mon fils.

— C’était un brave homme, ton aîné, Sicaire, reprit l’autre. Cette gueuse de suette a tué bien des gens, mais je ne pense pas qu’elle en ait emporté un meilleur.

— C’est comme ça, mon pauvre, les bons s’en vont les premiers : Allons, à ta santé, nous allons partir.

Et l’oncle ayant bu, alluma sa pipe.

En sortant de Savignac, je questionnai mon oncle.

— Pourquoi donc que vous vous appeliez tous deux Sicaire, mon père et toi ?