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— Ça te coûte dans les trente-cinq ou quarante pistoles, hé ?

— Tu ne te trompes de guère.

— Et autrement ? rien de nouveau ? dit le forgeron.

— Toujours la même chose, mon pauvre. Les gros bourgeois cherchent toujours quelque moyen de nous tirer de l’argent. Est-ce qu’ils n’ont pas encore inventé de nous faire payer pour chasser ?

— Tu coyonnes ! ça n’est pas possible !

— C’est sûr, mon vieux. C’est Masfrangeas, tu sais Masfrangeas, d’Excideuil, qui est à la Préfecture, qui me l’a dit.

— Ça ne peut pas durer comme ça ! dit l’autre ; mais ces Jean-foutre ont tout dans leurs mains, l’argent, les juges, les gendarmes, les soldats ; et nous autres nous n’avons que nos bras.

— C’est égal, reprit mon oncle, d’après ce que j’ai ouï dire, j’ai dans l’idée que d’ici quelque temps il y aura un chambardement pas ordinaire, et ce ne sera pas trop tôt.

— Non, dit le forgeron ; tu n’as rien ?

— Si, tiens, et fouillant dans sa poche, l’oncle lui donna un journal et deux ou trois petits papiers.

— Allons, bonsoir ! et ils se secouèrent la main, après quoi nous continuâmes notre route.

La petite mule marchait bien et dépassait la jument.

— Allons ! allons ! dit mon oncle, fais-moi marcher un peu la Grise qui s’endort !

D’un coup de verge, je la fis avancer à la hauteur de la mule, puis je dis à mon oncle :

— Et pourquoi l’appelles-tu la Grise, puisqu’elle est rouge ?

— Ah ! voilà ; elle est née au moulin, et comme on appelait sa mère la Grise, parce qu’elle l’était de vrai, nous avons donné le même nom à la fille.

— C’est drôle, tout de même, fis-je.