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boucle son sabre autour de lui, prend le chandelier d’une main, un pistolet de l’autre, et ouvre la porte de la chambre, pendant que le revenant descendait l’escalier avec un grand bruit de chaînes. Tandis qu’il est là, le vent lui éteint sa chandelle ; il la pose à terre, tire son sabre et s’avance sur le palier tout noir. Ça descendait toujours, lentement, et le capitaine attendait au débouché de l’escalier. Tout d’un coup il s’en va voir quelque chose de blanc comme un mort dans son drap, qui était là. Il lâche son coup de pistolet, et tombe à coups de sabre sur le revenant. Après avoir bien bataillé il ne vit plus rien, il n’entendit plus rien et fut se recoucher. Le lendemain matin, il trouva que sa balle avait fait un trou dans le mur et que la boiserie de l’escalier était hachée de coups de sabre.

De cette affaire il en eut assez. Des hommes en chair et en os, il n’en avait point peur ; mais que faire contre des fantômes sur lesquels les balles et la lame d’un sabre ne font rien ?

Entendre ça, en plein soleil, raconté par mon oncle qui n’y croyait pas et riait des revenants, ça n’était rien ; mais quand c’était Gustou, notre garçon du moulin, qui racontait ça les soirs d’hiver, avec des triboulements dans la voix, tandis que le vent soufflait dans la haute cheminée, j’avais grand’peur.

À Laurière, nous laissons le chemin de Cubjac, et nous dépassons Sarliac et La Bonnetie. Sur la route, on connaissait mon oncle et les gens nous envoyaient leur : à Dieu sois ! Sur la porte des auberges, ceux qui revenaient, comme nous, de la Saint-Mémoire, et qui s’étaient arrêtés pour boire un coup, sortaient pour voir qui c’était.

À la forge de Saint-Vincent, un grand diable tout noir sortit et dit à mon oncle :

— Ha ! tu as fait foire, Nogaret ?

— Hé oui, j’ai acheté cette petite mule.