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municipal de Marsaneix ou de Périgueux, sans le qualifier aussi d’honorable. Députés et conseillers le sont, je le veux, je le sais, mais le diable si je comprends la nécessité de rappeler ça à tout bout de champ, comme si on avait peur que la chose s’oublie !

Jusque dans nos campagnes, on se met à parler comme à Paris ou à Périgueux. Nous avons dans notre conseil de la commune un brave homme tout à fait, mais qui, à chaque réunion, y va de son petit discours, quoiqu’il soit comme moi, pas des plus savants, et il tâche de parler comme à la Chambre des députés, disant toujours : l’honorable M. le Maire ; notre honorable collègue Roumy ; l’honorable adjoint ; et ainsi de tous. Ces grimaces font suer déjà quand ça se passe dans la haute ; je vous demande un peu l’effet que ça fait dans un conseil de douze bons paysans !

Mais ce n’est pas tout. Du monde de la politique où on fait la pluie et le beau temps, cet usage flacassier des qualifications élogieuses s’est étendu à la foule nombreuse des gens en place, des petits aux grands. Lorsqu’on en parle, tout ce monde est habile, intègre, distingué, sympathique, est-ce que je sais ? et les gros bonnets sont très honorables, hautement distingués, éminemment sympathiques ! Quoi de plus ? Jusque dans les relations entre simples citoyens, cette mode s’est répandue. C’est au point qu’il semble qu’on veuille mal à quelqu’un, si on parle de lui sans coudre à son nom un de ces mots flatteurs ; entre braves gens d’ailleurs, on se gratte l’un l’autre où ça nous démange fort. On voit venir le temps où l’oubli d’une de ces formules flagorneuses fera déclarer des duels.

Et dans les lettres donc, il faut voir ces civilités de la fin ; ces : agréez, veuillez agréer, daignez agréer, ces salutations distinguées, ces hautes considéra-